Par: André Delisle

Le consensus informé est un mécanisme de consultation utilisé dans un contexte non réglementé. Il fait participer des personnes volontaires recrutées pour former une commission citoyenne et tenir une consultation publique, souvent sur un dossier thématique ou un projet collectif. Ce mécanisme est parfois identifié comme conférence de consensus, jury citoyen, panel citoyen ou assemblée citoyenne.

Une consultation « populaire »

Cette démarche dite « populaire » à l’époque de sa conception est aujourd’hui qualifiée de « citoyenne ». Elle vise avant tout à fournir aux entités initiant la démarche un éclairage social sur des solutions envisagées pour régler des problèmes touchant la population. Cette forme de consultation du public est particulièrement appropriée dans le cadre de politiques, de programmes ou de plans par les gouvernements ou les instances municipales. Elle est aussi mise en œuvre dans le cadre d’initiatives citoyennes pour l’élaboration de visions ou de projets collectifs touchant l’ensemble d’une communauté ou d’une population.

Grâce à un débat auquel participe tant le public que les spécialistes, les groupes communautaires et les entreprises privées, la commission identifie les points de consensus et de divergences relatifs à la problématique étudiée. Il s’agit de connaître le point de vue éclairé et libre d’un groupe indépendant, mais représentatif de la communauté, sur un projet susceptible d’avoir des répercussions sur le mode de vie ou la qualité de vie d’une communauté. L’intention de la démarche est que ce point de vue soit considéré dans la décision finale de sorte qu’elle suscite la plus grande adhésion possible de la communauté concernée.

Des exemples intéressants et significatifs de recours à cette démarche de consultation peuvent être mentionnés. Ainsi, en 2010, un jury citoyen a été sollicité par le Directeur général des élections du Québec pour examiner la question du financement des partis politiques. En Colombie-Britannique, une vaste consultation publique a été confiée par le Gouvernement provincial pour sonder la population sur l’adoption d’un nouveau mode de scrutin. Au début des années 1990, des municipalités de l’Estrie et de la Montérégie ont mis en place des processus de consensus informé pour consulter leur population dans le cadre de l’élaboration des plans de gestion des matières résiduelles (PGMR). En 2018, à l’initiative de gens de théâtres de toutes les régions du Québec, une assemblée citoyenne constituante a été mandatée pour consulter la population et de proposer un projet de constitution québécoise.

Les premières initiatives de consultation citoyenne par consensus informé ont vu le jour en 1977 aux États-Unis dans les milieux médicaux, sous l’égide du National Institute of Health. Le concept a par la suite été mis en application par plusieurs pays européens, plus particulièrement dans les pays scandinaves dont le Danemark. Une adaptation québécoise de ce mécanisme a été faite par un groupe de recherche de l’Université de Sherbrooke dans le cadre du projet STOPER réalisé entre 1993 et 1996 (Stratégies d’optimisation d’écosystèmes régionaux). Ce projet de recherche a permis d’élaborer et d’expérimenter une démarche de consultation par consensus informé dans des cas pratiques de gestion des déchets et d’évaluation de technologies environnementales.

Une commission citoyenne

Le mécanisme de consensus informé fait appel à des personnes qui ne connaissent pas nécessairement le problème et qui n’ont pas d’intérêt direct à la décision pour analyser et évaluer une problématique et ses solutions possibles. Une commission citoyenne est constituée de citoyennes et de citoyens volontaires, dont le nombre peut être très variable dépendamment de l’envergure de l’exercice, de la dizaine à la centaine de personnes dans les divers cas mentionnés. Ces personnes sont sélectionnées par un organisme neutre, indépendant et crédible, souvent l’entité initiatrice de la démarche et responsable de la consultation.

La consultation par consensus informé a pour objectifs d’aider les responsables à prendre une décision dans le sens de l’intérêt commun et en regard de l’acceptabilité sociale, en toute connaissance des préoccupations et perceptions du public. La commission constituée a à formuler un avis et des recommandations sur le sujet de la consultation. La commission fonde ses conclusions sur une documentation préparée par les responsables, sur les informations recueillies auprès de personnes-ressources (spécialistes, organismes concernés, groupes de pression, etc.) et sur les opinions des personnes du public ayant été consultées. Des personnes responsables de l’animation et de la facilitation accompagnent la commission citoyenne dans l’ensemble de ses travaux et activités.

Des solutions consensuelles

La commission doit se documenter sur la question examinée, discuter les possibilités de solutions et faire des recommandations aux autorités concernées. L’information de la commission se fait au moyen de documents pertinents, de spécialistes et personnes-ressources concernées, et possiblement de séances publiques de questions et de présentations en présence d’interlocuteurs choisis. Par la suite, les commissaires se réunissent et délibèrent en privé pour en arriver à des consensus sur les propositions de solutions à retenir. Ces recommandations et les raisons qui les soutiennent sont consignées dans un rapport de consultation publié par la commission. Des services de secrétariat et de soutien logistique assistent la commission de citoyens dans ses travaux. La personne qui assura la « facilitation neutre » peut dans certains cas provenir de l’organisme initiant la consultation, si elle n’est pas l’initiatrice de la consultation ou au centre d’une controverse. Autrement, un tiers désintéressé est retenu à cette fin.

Le déroulement du processus

Les étapes de consultation par consensus informé sont les suivantes :

  1. Initiation du processus par un organisme responsable (municipalité, CRE, entreprise, association, etc.) – Un guide de participation et un document vulgarisé précis et rigoureux présentant la question à débattre sont préparés à l’intention des membres de la commission et du public.
  2. Recrutement et sélection des membres de la commission – La sélection des membres se fait parmi les candidatures soumises en réponse à une sollicitation publique (par les médias par exemple). La commission agit ainsi comme représentante du public.
  3. Période d’information sur le dossier (documentation écrite, rencontres de spécialistes et personnes-ressources (contenu et processus), réunions d’information, ateliers de travail, colloques, etc.) – Les membres de la commission se réunissent et acquièrent des informations sur le processus et le dossier. Une ou plusieurs réunions sont publiques pour permettre aux personnes intéressées de s’informer et de manifester leurs opinions.
  4. Séances de délibération à huis clos (élaboration des options, prise de position, recommandations) – Les discussions entre les membres se font à huis clos, à l’aide d’une personne expérimentée responsable de l’animation qui a le mandat de dégager les consensus.
  5. Rédaction et publication du rapport contenant des recommandations.

Les parties impliquées

Plusieurs personnes sont mises à contribution pour assurer le bon fonctionnement du processus de consultation par consensus informé, de l’entité initiatrice du processus aux participants aux séances publiques :

  • Entité initiant la démarche: Il s’agit que l’organisme – public ou privé – désirant consulter et qui doit prendre une décision en regard des recommandations de la commission citoyenne.
  • Responsables de la consultation: L’organisation de la consultation, la sélection des membres de la commission, le soutien logistique et l’animation du processus, l’identification des personnes-ressources, la production de la documentation et des outils de travail, ainsi que l’aide à la rédaction du rapport sont confiés à un groupe tiers indépendant ayant des compétences en participation du public.
  • Responsable de l’animation et de la facilitation: Son rôle consiste à valider la documentation, à donner une formation aux membres de la commission, à animer et modérer les échanges lors des réunions de la commission et des séances publiques.
  • Commission citoyenne: Un groupe est réuni en fonction de certains critères de sélection, notamment la représentativité de l’ensemble de la communauté concernée par l’objet de la consultation tant démographique que socio-économique. Sans compétences particulières ou intérêts directs dans le dossier examiné, les membres doivent démontrer une ouverture au dialogue, au débat et à la recherche de solutions collectives consensuelles.
  • Participants et participantes: D’autres intervenants sont mis à contribution dans le cadre de la démarche d’information et de consultation. C’est le cas notamment des spécialistes et des personnes-ressources sollicitées par la commission, des parties prenantes invitées à exprimer leurs positions sur la problématique examinée et l’ensemble de personnes concernées profitant des séances publiques de la commission pour s’informer et exprimer leurs opinions.

Une procédure adaptable

Le consensus informé peut être adapté à plusieurs situations selon des envergures plus ou moins grandes. Il se prête particulièrement bien à l’examen d’un projet ou d’une action complexe, qui revêt plusieurs dimensions et dont l’analyse doit tenir compte de plusieurs facteurs. Ce peut être des projets de développement (industriel, immobilier, technologique, etc.) aussi bien que des projets de politique, de réglementation ou de programme.

Les budgets proviennent soit du promoteur, soit de l’organisme responsable, soit d’autres sources accessibles, par exemple les subventions gouvernementales.

L’ampleur du processus à mettre en place et les moyens requis varient selon la nature plus ou moins conflictuelle du dossier examiné et en fonction de l’envergure du projet à débattre. En général, il s’agit d’une procédure légère pouvant être complétée avec des budgets modestes et dans des délais assez courts. Le processus n’est toutefois pas adéquat comme mécanisme d’arbitrage, de médiation ou de résolution dans des conflits déjà bien engagés sur une question ou dans une communauté.

La crédibilité est essentielle

Comme tout mécanisme de participation publique, le processus de consensus informé doit permettre aux participantes et participants de s’exprimer librement et les rassurer sur leur influence concrète sur les décisions à venir à la suite de la consultation. La crédibilité est donc essentielle au succès de la démarche. Cette crédibilité est liée au respect des exigences de base d’une consultation éthique et efficace, soit l’indépendance, la transparence, l’impartialité, la rigueur et le dialogue. Ces qualités d’un processus crédible se retrouvent autant dans l’attitude de l’entité initiatrice, l’expertise de l’organisme facilitateur et les comportements de la commission citoyenne.

L’indépendance et l’impartialité réfèrent autant à l’absence de conflits d’intérêts des membres de la commission et à la neutralité de leurs interventions. La transparence suppose l’accessibilité à toute l’information requise de même que sa diffusion, respectant ainsi le caractère public de la démarche. La diversité des intérêts en présence, des points de vue considérés et des intervenants consultés, de même que la validité des informations examinées assure la rigueur de l’exercice participatif. Pour sa part, le dialogue prend plusieurs formes par exemple des groupes de discussion, des séances publiques d’échanges ou des rencontres avec les personnes-ressources identifiées, nécessitant respect et écoute de la part de toutes les parties en présence.