Par: Cédric Bourgeois

Par Cédric Bourgeois, président, Transfert Environnement et Société

Pour mieux comprendre le contexte de ce billet, consultez la première partie de cette série de textes sur la communication faite par le gouvernement provincial durant la crise de la Covid-19 : Pourquoi sommes-nous réellement rassuré.es par la gestion de crise du gouvernement Legault?


Plusieurs personnes m’ont écrit en message privé pour connaitre mon opinion sur la « bévue » du gouvernement Legault quant à l’annonce du retour en classe et de la perte de confiance apparente qui en a résulté.

Voici mes réflexions de la dernière quinzaine :

Le gouvernement : un phare dans la nuit

En plus de faire référence à la nouvelle émission radiophonique de Marc Labrèche, la notion du phare, de la lumière qui guide, s’applique in extenso au rôle à jouer par le gouvernement Legault.

Le point de mire (décidément, Radio-Canada m’inspire) du gouvernement doit être de guider les citoyen.nes quant aux :

  1. Comportements à adopter
  2. Expectatives prudentes et prévisibles à avoir
  3. Émotions que nous éprouvons quant à la situation

Un consensus existe déjà autour de l’efficacité des communications gouvernementales quant aux comportements à adopter (lavez-vous les mains souvent, 20 secondes, etc.) et aux émotions que nous vivons ou que nous sommes en droit de ressentir (le gouvernement les légitimise en partageant les siennes et en validant les nôtres sans s’imposer : « Il est normal d’avoir peur, vous avez raison d’être fâché.es, etc. »).

Pourquoi alors l’annonce de la possibilité d’un retour en classe ne fait-elle pas consensus? Tout simplement parce que le gouvernement a oublié momentanément son rôle quant aux expectatives, et cela de deux façons :

  1. Manque de pédagogie : le gouvernement a annoncé une intention au lieu de nous guider vers le constat qu’il était possible d’envisager la réouverture des écoles
  2. Manque d’information : notre environnement étant actuellement anxiogène, nous sommes à l’affût d’une information accessible, crédible, digeste et détaillée. Puisque le gouvernement n’a pas adéquatement évalué notre besoin en information, un vacuum s’est formé. Règle de communication de crise 101 : ne jamais créer un vide informationnel, car les observateurs (médias et citoyen.nes) deviendront acteurs et auront vite fait d’occuper cet espace avec leur propre information

Reconnaitre que nous allons encore en apprendre sur la COVID-19

Des décisions récentes du gouvernement ont été remises en question, particulièrement celles liées aux CHSLD. Sur l’une des questions formulées, le gouvernement a déclaré « à ce moment-là, nous ne savions pas encore que… ». Les journalistes et le tribunal populaire des médias sociaux ne sont pas passés par quatre chemins (bon… j’arrête) pour partager leurs insatisfactions quant à cette réponse.

Une façon d’éviter ce malaise est d’inoculer de façon préventive cette incertitude dans les messages clés. Voici des exemples de phrases passe-partout :

  • « Dans les prochaines semaines, il est possible que nous apprenions d’autres spécificités sur la COVID-19 que nous aurions aimé connaitre aujourd’hui pour prendre notre décision… »
  • «Des choses que nous croyons vraies aujourd’hui pourraient se révéler incorrectes au fur et à mesure que la crise évolue et que la science se raffine…»

Il importe en parallèle de communiquer les efforts déployés par la Santé publique pour réduire cette incertitude.

Attention : partager l’incertitude n’équivaut pas à communiquer de façon incertaine. À cet égard, le ton doit être plus rassurant que le contenu. Quand à l’inverse, le partage de certitudes sur un ton incertain, la résultante est assurément catastrophique…

Dr Arruda superstar, l’égo, l’opinion et les faits

Recettes, vidéos virales, mèmes, etc., le statut du Dr Arruda à titre d’icône culturelle québécoise se profile de jour en jour. Personnalité charismatique et exubérante, il suscite l’intérêt et la confiance; deux éléments clés dans la gestion de cette crise. Le bémol que j’exprime est à titre préventif et s’applique aussi à ses acolytes de table. Dans les plus récentes conférences de presse, plusieurs questions ont été répondues par des « Je pense que… ».

Une telle formulation pourrait laisser penser que le porte-parole est devenu plus grand que l’organisation qu’il représente et sous-tend la communication d’une opinion et non d’un fait.

Voici donc des exemples de formulations de réponses plus adaptées aux questions du type « Que pensez-vous de… ? » :

  • « Le constat qui émerge des analyses de la Santé publique est le suivant… »
  • « Ce qu’il est possible d’affirmer aujourd’hui à l’aune des études… »
  • « Il y a un consensus fort autour de… »

Une question qui s’amorce par « Que pensez-vous de » est un piège autant qu’une réponse débutant par « Je pense que ».

Enfin, petit caprice communicationnel ici, la béquille transitionnelle « ce qu’il faut comprendre » ne devrait pas être utilisée en conférence de presse. Elle est empreinte de paternalisme et est antipédagogique. Une variation de formulations autour de « merci de me donner l’opportunité de préciser » serait ici plus à propos.

Éviter de blâmer et prendre la responsabilité morale

Après la crise, les enquêtes sur la gestion des CHSLD pourraient démontrer que le gouvernement Legault :

  • Savait ou aurait dû savoir qu’il y avait d’importants enjeux de gouvernance et de gestion
  • A fait des erreurs et a pris de mauvaises décisions dans la gestion de crise (ce qui est normal, soit dit en passant)

Comment la population réagira-t-elle exactement? Cela dépend en fait de ce que le gouvernement entend communiquer dans les prochains jours et semaines.

Pour l’instant, le gouvernement est ambivalent : il ne blâme pas l’ancienne administration et ne prend pas non plus la responsabilité de la situation devant la population. Il s’agit effectivement d’une situation délicate, particulièrement en considérant les rôles de la ministre Blais dans cette histoire.

Règle générale, si le gouvernement pointe du doigt l’administration précédente, la population le blâmera lui pour sa gestion déficiente. Le même principe s’applique si le gouvernement rejette la responsabilité dans la situation.

La voie de passage est donc d’assumer publiquement la responsabilité morale de la situation.

Voici une proposition de formulation :

« Même si nous avons été élus pour la première fois il y a moins de deux ans, nous ne pouvons faire autrement aujourd’hui que de regretter la situation dans les CHSLD et nous en sentir moralement responsables. Nous voulons dire aux Québécois.es que nous prenons cette responsabilité très au sérieux. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous nous sommes déjà engagés à négocier avec les syndicats l’augmentation des salaires… »

Enfin, même si nous répétons souvent à nos clients que l’espoir n’est pas une stratégie viable, il suffit peut-être simplement ici pour le gouvernement d’amener les caméras à se braquer sur la Fédération des médecins spécialistes du Québec et faire confiance à la capacité innée de sa porte-parole à se mettre les pieds dans les plats (pratique sanitaire non recommandée en temps de COVID-19), à s’aliéner l’opinion publique québécoise, et à servir de bouc émissaire…

Déjà la fin de la « crise »?

Au regard des communications, un bon indicateur permettant d’établir la fin d’une crise bien gérée est la montée des critiques entourant sa gestion. Le fait que, globalement, la situation sanitaire soit stabilisée nous amène vers un nouveau paradigme de normalité. Si la situation se maintient, ce que nous souhaitons tous, le gouvernement devra faire face à davantage de critiques ainsi qu’à l’opposition politique.

Le marathon et le fameux « mur »

Impatience envers les journalistes, agacements, messages imprécis, argumentaires moins étayés : la fatigue se fait sentir. Pourquoi ne pas toujours prendre congé le dimanche?