Par: Alexandra Boileau

Consultations et recherche de consentement

Alors que le projet de loi C-262 proposé par le député néo-démocrate Romeo Saganash visant à assurer le respect de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones a été bloqué par des sénateurs conservateurs en juin dernier, il est important de rappeler que le Canada a appuyé le texte de la Déclaration des Nations Unies, et de clarifier certains de ses enjeux.

En effet, dans les débats entourant le projet de loi, nombreux sont ceux qui se sont posé la question d’un droit de veto. L’enjeu est toujours d’actualité.

À l’origine : l’appui officiel du Canada à la Déclaration des Nations Unies sur les droits autochtones

La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (« la Déclaration ») a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2007, mais ce n’est qu’en 2016 que le Canada a annoncé son plein appui à celle-ci. Dans ce contexte, le député d’Abitibi–Baie-James–Nunavik–Eeyou, Roméo Saganash, a déposé un projet de loi qui a été adopté par la Chambre des communes à Ottawa en 2018, il s’agit du projet de loi C-262.

Pour rappel, ce projet de loi – finalement rejeté il y a quelques semaines par le Sénat – avait essentiellement pour objectif de mettre en œuvre les mesures nécessaires pour que les lois fédérales soient compatibles avec la Déclaration.

Celui-ci avait été globalement bien reçu, notamment parce qu’il contribuait à renforcer la reconnaissance du caractère distinct des peuples autochtones et de leurs droits inhérents, à appuyer les efforts de réconciliation de l’État et à réduire les inégalités qui affligent les peuples autochtones. Néanmoins, il avait également suscité certains débats parmi ceux qui voyaient dans le texte de la Déclaration l’expression d’un possible droit de veto donné aux peuples autochtones par rapport aux projets de développement.

Le projet de loi C-262 n’est pas passé cette fois-ci, mais qu’en est-il au juste de la question du droit de veto dans la Déclaration?

Des nuances importantes : l’obtention du consentement et la consultation de bonne foi …

Le texte de la Déclaration comporte des libellés distincts concernant les cas qui requièrent l’obtention du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause des peuples autochtones et ceux qui nécessitent la consultation et la coopération de bonne foi avec les peuples autochtones en vue d’obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

Des exemples où le consentement et/ou le dédommagement sont obligatoires sont les articles 10 (relocalisation forcée) et 11 (appropriation de biens culturels) de la Déclaration. Dans ces cas, le niveau de participation des peuples autochtones aux processus décisionnels doit être réel et peut être un droit de veto.

Quant aux cas où il faut consulter significativement et coopérer de bonne foi avec les peuples autochtones parce que certaines mesures sont susceptibles de les affecter, il faut se référer à l’article 19 (l’adoption mesures législatives ou administratives) et l’article 32 (l’approbation de projets visant la mise en valeur, l’utilisation ou l’exploitation de ressources naturelles). Différents documents d’organismes internationaux soulignent que dans ces dernières situations, les processus de consultation et de coopération peuvent mener à différents résultats, que ce soit le consentement sans condition, le consentement avec accommodements ou conditions, ou encore l’absence de consentement.

La Déclaration souligne donc que dans certains cas, il faut reconnaître le droit de consentement aux peuples autochtones tandis que dans d’autres circonstances il faut rechercher leur consentement. Il ne s’agit donc pas toujours d’un droit de veto que sous-tend la Déclaration, mais surtout du droit d’être consulté adéquatement et de se positionner de façon éclairée par rapport aux mesures envisagées.

…et des zones grises

En revanche, la portée d’autres articles de la Déclaration est parfois moins claire, comme dans le cas de l’article 28 où il est question du droit à l’indemnisation pour l’exploitation, l’occupation ou la dégradation de territoires possédés, occupés ou utilisés traditionnellement, ainsi que dans l’article 29 qui concerne l’interdit d’entreposage de matières dangereuses sur les territoires autochtones, sans mentionner s’il s’agit de territoires traditionnels, de territoires sur lesquels les peuples autochtones ont un titre ou encore de territoires qui sont réservés à leur usage.

Bien que la jurisprudence canadienne relative aux droits autochtones soit en constante évolution et qu’elle se soit déjà positionnée au regard de différents enjeux qui sont reflétés dans la Déclaration, il reste différentes zones grises qui n’ont pas encore été résolues. De même, l’interprétation de la portée de certains articles de la Déclaration pourrait également se retrouver devant les tribunaux si le Canada décidait d’en appliquer l’ensemble des principes. Il s’agit donc d’un dossier à suivre.

De la nécessité d’un dialogue, encore et toujours

Le texte de la Déclaration va bien plus loin que la seule question du consentement. Le projet de loi C-262 aurait vraisemblablement eu des impacts sur différentes politiques et lois canadiennes (dont la Loi sur les Indiens) pouvant toucher, par exemple, les enjeux relatifs à l’autodétermination, le processus de règlement des revendications territoriales ou des initiatives en vue d’améliorer la capacité et le bien-être des peuples autochtones.

En attendant d’éventuelles modifications législatives ou réglementaires, le texte de la Déclaration nous rappelle qu’il est essentiel d’établir un réel dialogue avec les peuples autochtones et d’améliorer les pratiques de consultation. Des efforts particuliers doivent être menés auprès des peuples autochtones et le consentement éclairé implique le besoin d’aller au-delà de simples considérations sur l’accessibilité de l’information pour vérifier si :

  • Les renseignements essentiels à la prise de décision sont disponibles en temps opportun
  • L’information est réellement comprise
  • Les moyens de communication sont adéquats
  • La consultation est de bonne foi
  • Les préoccupations sont bien entendues et prises en compte à la suite des consultations

Consulter la Déclaration

Par Jacques Grondin, Directeur, Relations autochtones et santé environnementale