Beaucoup de choses ont déjà été écrites sur la façon dont le gouvernement du Québec réussi jusqu’ici à bien communiquer sur la crise de la COVID-19 et sur le fait que les Québécois.es se sentent rassuré.es par la performance quotidienne du triumvirat de 13 h, surtout au regard de ce qui se déroule au sud du 45e parallèle…
Grosso modo, les analystes politiques et les citoyen.nes soulignent la présence constante, la prestance et l’empathie du premier trio gouvernemental, en évoquant notamment la figure du « bon père de famille ».
Je me suis intéressé à décortiquer la manière dont le gouvernement, par des actions et des paroles, s’inspire des approches et des techniques connues en communication des risques en situation de crises sanitaires. À noter que les exemples cités entre guillemets sont de mon cru et visent à imager mes propos.
Survol des techniques de communication utilisées par le gouvernement Legault
Communiquer tôt, fréquemment, simplement, explicitement et avec transparence
Rien à dire ici. Nous avons tous constaté l’impact positif.
Reconnaître la légitimité des réactions citoyennes
Voilà comment on devient un.e bon.ne père\mère de famille : « nous comprenons », « nous sommes sensibles », « il est normal de réagir de cette façon », « j’ai moi-même pensé que… », etc. Cette ouverture rassure et prédispose à l’écoute et à l’action, car on se sent considéré.
Ne pas être trop rassurant
Élément clé pour différentes raisons : maintenir les citoyen.nes en mode écoute et prêt.es à poursuivre ou à passer à l’action, bâtir la confiance et ne pas être obligé de se rétracter dans les 24 heures…
Reconnaître l’incertitude
Même si cela semble a priori contre-intuitif, c’est la meilleure façon de garder un fort niveau d’adhésion et de confiance au sein de la population, surtout dans l’éventualité où l’on doive effectivement se rétracter dans les 24 heures… on désamorce d’emblée en soulignant l’incertitude entourant certaines actions actuelles ou à venir.
Et même… pencher du côté plus alarmiste que rassurant
C’est un jeu auquel on ne peut pas perdre. Si la pandémie est moins grave que prévu, ça sera grâce aux citoyen.nes qui ont pris les mesures adéquates. L’inverse n’est clairement pas le cas.
Ne pas avoir comme objectif de « rassurer les Québécois.es »
Manifestement contre-intuitif : l’objectif principal du gouvernement n’est pas de nous rassurer, mais de nous prédisposer à l’action en nous maintenant sur le qui-vive. En fait, nous rassurer n’est pas une finalité, mais bien une conséquence de l’action gouvernementale.
Ne pas avoir peur de spéculer
Ici aussi, cela parait contre-intuitif. Spéculer, ça ne veut pas dire jouer à la bourse ou s’acheter un billet pour la Poule. C’est plutôt laisser certaines portes ouvertes dans l’éventualité où la situation se détériorait : « bien que nous n’ayons pas l’intention de faire X dans le futur, toutes les options sont sur la table… » ou à l’inverse, fermer certaines portes tout en gardant les autres options ouvertes : « nous savons aujourd’hui que X n’est pas une action qui fonctionne, nous consacrons maintenant nos efforts sur Y et Z en espérant de meilleurs résultats ». Bref, faire de la spéculation responsable.
Communiquer le risque présent et le risque futur au même moment
Un élément très bien communiqué à ce jour. Partager la bonne nouvelle tout en incitant à la prise de mesures supplémentaires « les actions déployées, les gestes adoptés par les citoyens nous permettent aujourd’hui de mieux respirer (mauvais jeux de mots, je l’avoue), mais il faut demeurer vigilant, car le pire est encore à venir ».
Garder le cap, ne pas avoir peur de générer la panique et tolérer les réactions excessives
Imaginez où nous en serions si le gouvernement, après la « crise du rouleau au Costco », s’était réuni et avait décidé de changer de stratégie et de rassurer la population…
La panique, la vraie panique, est en fait difficile à générer (au nord de la frontière, du moins) et il faut s’attendre à certains dérapages. À la limite, il faut voir cela à l’inverse : s’il n’y a pas de réactions excessives au départ, c’est dire que le gouvernement n’est pas allé assez loin. Aussi… se faire critiquer pour avoir généré une file d’attente dans l’allée des papiers hygiéniques n’est pas synonyme de se faire critiquer pour l’inaction.
Utiliser des personnalités publiques
La technique de la propagation via le maillage social est archi connue et elle fonctionne. Il s’agit de trouver les bons influenceur.euses pour les bons publics, de Cœur de pirate à Michel Louvain et Dodo.
Proposer des actions concrètes aux citoyen.nes
Face à un danger imminent, notre instinct nous amène (lire ici la majorité des gens) à vouloir prendre des mesures pour l’annuler ou du moins, le réduire. Lorsque le lien de confiance est créé, le gouvernement peut nous recommander de faire certaines actions, qui sont habituellement adoptées par la majorité.
Bâtir progressivement la séquence d’actions
En ligne directe avec le principe précédent. Pour que les mesures proposées soient plus acceptables, il doit y avoir un crescendo dans le ton, la portée des actions, etc.
Dire aux citoyen.nes à quoi s’attendre
Définir clairement les implications et conséquences possibles (parfois probables) de la crise. Par exemple, le fait de partager des jalons, des dates ou un calendrier peut rassurer.
Expliquer le quoi, le comment et le pourquoi
En bref, nous intégrons et adoptons plus facilement un nouveau comportement lorsque nous comprenons pourquoi nous le faisons.
Donner l’exemple
« C’est l’anniversaire de nos fils en fin de semaine à Montréal. Cela m’attriste, mais je n’irai pas ». Difficile de donner un meilleur exemple, bravo!
Et maintenant, puisque la crise s’étirera et que notre premier trio fera aussi assurément certaines bévues, il devra aussi bientôt :
Reconnaître rapidement ses manquements et erreurs
De toute évidence, exiger cela d’un gouvernement n’est pas simple, mais s’il souhaite maintenir un fort taux d’adhésion à ses messages et aux actions citoyennes qu’il recommande, notre premier trio devra reconnaître ouvertement et avec sincérité ses erreurs. « Même si nous pensions X, Y est arrivé. Nous reconnaissons que nous n’avons pas réussi à…. ». Aussi, ne pas craindre ici la répétition.
Autres techniques utilisées (mise à jour du 31 mars 2020)
Donner plusieurs choses à faire
Donner du sang, faire des pastéis de nata (miam, des tartelettes portugaises!), écouter de la musique, faire du bénévolat, etc. sont des suggestions et des demandes du gouvernement qui s’opèrent en parallèle et en complémentarité avec les recommandations et directives formulées visant à protéger la santé publique.
Ces « choses à faire » nous permettent, dans une situation anxiogène, de réduire notre peur et, pour certain.nes, de mieux vivre le déni. Elles canalisent aussi notre besoin humain d’aider autrui en temps de crise. Enfin, elles nous rendent émotionnellement disponibles pour accepter et mettre en œuvre les recommandations et directives de la Santé publique.
Aussi, en agissant sur l’une ou l’autre des propositions gouvernementales, nous avons l’impression d’avoir un libre choix, du contrôle et de faire partie de l’équipe.
Utiliser notre empathie comme vecteur de changement de comportements individuels
Nous serions plus enclin.es à modifier ou à adopter un nouveau comportement lorsque l’émetteur.trice réussit à générer chez nous un sentiment d’empathie. Il n’est donc pas surprenant ici que puisque nos aîné.es sont plus à risque, les campagnes publicitaires et les communications gouvernementales répètent le même message : « ne le fais pas pour toi, fais-le pour tes parents, tes grands-parents, etc. ».
Décider maintenant plutôt (et plus tôt) que plus tard
Règle simple qui devrait toujours être appliquée : lorsqu’il devient évident pour le gouvernement qu’une action doit être prise, cela devient tout aussi évident pour les citoyen.nes. Il est donc trop tard.
Résultats : le gouvernement est blâmé pour être déconnecté, réactif et influençable, lorsqu’il prend finalement « sa » décision.
Constat : en temps de crise, une action prévisible et envisagée devrait être mise en place plus tôt que tard, car les décideur.es risquent d’être blâmé.es (avec raison) pour ne pas l’avoir fait plus tôt…
Utiliser l’avenir prévisible pour planifier les actions à communiquer
Dans la même lignée que le principe précédent, le gouvernement devrait toujours se projeter une semaine à l’avance et se questionner sur ce qu’il aurait voulu communiquer aux citoyen.nes sept jours plus tôt et… le communiquer dès maintenant!
Créer un environnement communicationnel sans surprise
Les points de presse à tous les jours à 13h avec une séquence préétablie d’intervention et de partage de contenu :
- Les données factuelles sur la COVID-19
- Les décisions prises par le gouvernement
- Les nouvelles actions à adopter par les citoyen.es et pourquoi
- Les nouveaux enjeux et les prochaines étapes
- Les « traditionnels remerciements du jour »
Aussi, contrairement aux mêlées de presse, les fameux scrums où ne pas répondre à la question et tourner autour du pot est une règle quasi élémentaire, la période de questions est utilisée par le gouvernement comme une occasion de nuancer et d’expliciter les arguments qui sous-tendent les messages clés.
Des pistes pour s’améliorer encore davantage :
Attention aux mots piégés
Formuler positivement un message plutôt que d’avancer ou répéter des propos négatifs. Dans la même conférence de presse du 28 mars, nous avons d’abord eu droit à « la situation est sous contrôle » puis, quelques minutes plus tard, à « nous ne sommes pas en perte de contrôle ». À votre avis, qui était davantage en contrôle de son message?
Utiliser le « Même si »
Les locutions conjonctives de subordination (ouf…) permettent de positionner favorablement le message positif au sein d’un énoncé qui inclut un message négatif de façon à ce que la communication soit complète et transparente, mais que l’on retienne davantage le segment positif. À tire d’exemples :
- « Même si nous sommes en contrôle de la situation, des jours difficiles sont à prévoir. »
- « Bien que nous ayons suffisamment de lits de disponibles actuellement, la situation évolue rapidement et pourrait être appelée à changer. »
RAPPEL – Attention au désir d’être trop rassurant : « Ça va bien aller » Vraiment?
Oui, je sais : la citation du PM du 24 mars a été reprise par les citoyens et on parle aujourd’hui d’un mouvement panquébécois et oui, ça fait du bien! Pour l’instant du moins…
Qu’arrivera-t-il si la situation se dégrade ? Quel serait l’impact sur la confiance du public s’il a l’impression que « tout ne va pas bien »? Que les journalistes se mettent de la partie : « M. le PM, vous aviez dit aux Québécois.es que tout irait bien? Ce n’est manifestement pas le cas. Qu’avez-vous à leur dire maintenant? »
Voici la citation officielle du PM à cet effet :
« La priorité, c’est d’éviter la contagion. Je sais que ce n’est pas facile, ce qu’on vit que c’est stressant pour beaucoup de monde. Mais tout ça, c’est temporaire. On est tous ensemble là-dedans. Le Québec est uni comme jamais. On va s’entraider et on va s’épauler. On va passer à travers et ça va bien aller. »
Je me permets ici de proposer une citation ajustée qui aurait cadré la portée du « ça va bien aller » en incluant bien sûr un « même si »! Aussi, petite coquetterie, j’ai retiré le mot temporaire qui est à mon avis trop rassurant. J’y vais peut-être un peu fort avec « toujours », mais vous comprenez le principe.
« La priorité, c’est d’éviter la contagion. Je sais que ce n’est pas facile, ce qu’on vit que c’est stressant pour beaucoup de monde. Mais tout ça, ce n’est pas pour toujours. On est tous ensemble là-dedans. Le Québec est uni comme jamais. On va s’entraider et on va s’épauler. Même si on est confiant qu’on va passer à travers et que ça va bien aller, on sait que les jours et semaines à venir seront critiques. »
En souhaitant que vous compreniez mieux pourquoi vous vous sentez rassuré.e chaque jour à 13h…
Lisez la deuxième partie de cette série de textes sur la communication faite par le gouvernement provincial durant la crise de la Covid-19 : Pourquoi les communications récentes du gouvernement ne nous ont pas rassuré.es