Avec le refus de la Cour suprême du Canada d’entendre la cause, le jugement de la Cour d’appel dans le procès opposant Ressources Strateco au Gouvernement du Québec est déterminant en matière d’acceptabilité sociale. Quels sont les impacts pour les initiateurs de projets et comment susciter l’adhésion dans les communautés d’accueil afin de favoriser l’obtention des autorisations nécessaires?
Par André Delisle, conseiller stratégique
D’entrée de jeu, ce jugement est déterminant pour les promoteurs, car il réaffirme l’importance qu’ils doivent accorder à ce critère de décision dans l’évaluation environnementale et sociale de leurs projets. Ainsi la démarche sociale visant à associer les parties prenantes à toutes les étapes de conception, d’étude de faisabilité, d’évaluation des impacts environnementaux devient aussi cruciale que l’application des procédures gouvernementales d’étude des impacts sur l’environnement.
L’acceptabilité sociale est le résultat d’un processus
La première question en litige à laquelle le juge répond dans son jugement est la suivante : Le Ministre pouvait-il considérer l’acceptabilité sociale pour refuser le certificat d’autorisation recherché par Strateco? (Paragraphe 50) Le juge conclut que oui, et ce bien que ce concept n’apparaisse pas dans la LQE. (Paragraphe 52) Le juge retient aussi que Strateco sait depuis le début de ses démarches que son projet devait être acceptable pour la communauté locale. (Paragraphe 54)
« Non seulement le décideur peut considérer l’acceptabilité sociale d’un projet, mais il le doit. » Juge Denis Jacques, cité dans Ressources Strateco : l’ancienne vedette du Plan Nord perd sa cause, dans Le Soleil, 31 octobre 2020
« Les tribunaux ont jugé que l’absence d’acceptabilité sociale pour ne plus émettre un certificat d’autorisation était conforme au droit […] » Le Journal de Montréal, 15 octobre 2020
Dans le mémoire présenté à la cour en soutien de sa requête, Strateco décrit les démarches menées auprès des parties prenantes, plus spécifiquement auprès de la communauté crie de Mistassini, depuis le tout début du projet. (Référence : Observations de Strateco suivant l’avis préalable au refus de délivrer le certificat d’autorisation à l’égard du projet d’exploration souterraine à la propriété Matoush) Ces démarches axées surtout sur la communication et l’information visaient à établir un dialogue avec la communauté dans le but d’obtenir son accord (acceptation) du projet. Les multiples actions pour établir et maintenir le dialogue avec la communauté se sont déroulées sur une période de 6 ans. Elles n’ont toutefois pas conduit à l’acceptation recherchée par Strateco.
Dans son mémoire, Strateco voulait donc démontrer que l’acceptabilité sociale se mesure en fonction du processus et non en fonction du résultat. En ce sens, il affirmait que l’approche d’acceptabilité sociale ayant guidé son processus de communication et d’information répondait aux bonnes pratiques recommandées aux promoteurs de projets par des organismes tels que l’Institut du nouveau monde (INM) et le Conseil patronal de l’environnement du Québec (CPEQ).
Cette démonstration n’a pas convaincu le juge qui, en s’appuyant sur le témoignage d’un expert universitaire en consultation et participation du public, « retient que l’acceptabilité sociale se mesure à son résultat et non au processus. » (Paragraphe 50) Selon la preuve retenue par le juge, « l’acceptabilité sociale est plutôt considérée comme le résultat d’un processus participatif […]». (Paragraphe 95)
Dans son témoignage, l’expert précise la définition : « La perspective de l’AS [acceptabilité sociale] fondée sur le résultat apparait assez clairement. Il peut être question d’assentiment, d’acceptation voire, dans le cas contraire de refus. […] c’est davantage l’idée d’un état, d’un statut, d’une position, à un moment donné sur le projet qui prime et qui doit être tranché : est-ce que le projet a ou non l’AS? » (cité au paragraphe 96 du jugement)
Le mémoire de Strateco pouvait laisser présager d’un tel jugement en référant à une définition de l’acceptabilité sociale proposée par l’INM et reprise par le Ministre dans sa décision: « À titre indicatif, l’acceptabilité sociale peut être définie comme étant le résultat d’un processus […] ». [nous soulignons] En plus, Strateco mentionne dans son mémoire avoir été avisé par le COMEX, dans le cadre de son évaluation du projet que « le promoteur devra obtenir le consentement des cris […] et s’engager dans le cadre d’une entente écrite à cet effet […] ».
Un ensemble de facteurs à considérer
« Le Ministre lui-même reconnaît, dans sa décision, que l’acceptabilité sociale est modulée par un ensemble de facteurs. » (Paragraphe 98) Ces facteurs sont notamment ceux liés au contexte, aux circonstances, aux caractéristiques d’un milieu à un moment donné, aux conditions socioéconomiques de la communauté impliquée, au cadre institutionnel, décisionnel et de gouvernance, aux politiques applicables, à l’identité du promoteur, à la nature des rapports sociaux et de force au sein de la communauté.
Le juge précise « qu’il ne faut pas confondre l’acceptabilité sociale d’un projet et les répercussions des activités reliées à ce projet sur l’environnement et le milieu social. » (Paragraphe 100). Il note aussi que « la Loi sur le développement durable intègre la notion d’acceptabilité sociale », en référant aux principes de participation et engagement et à celui de l’accès au savoir. « Ainsi, le législateur fait de la participation citoyenne un élément clé du développement durable. L’acceptabilité sociale considérée comme le résultat de cette participation ne peut donc être ignorée. » (Paragraphe 103)
L’impact pour les promoteurs de projets
Ce jugement aura des conséquences importantes pour les promoteurs de projets, plus particulièrement sur l’ensemble du processus de conception, d’évaluation de la faisabilité, d’étude des impacts environnementaux et sociaux, de même que sur la participation des parties prenantes à l’ensemble du processus. En plus de l’étude de faisabilité et de l’évaluation environnementale et sociale, (incluant l’intégration des principes du développement durable) une étude et une analyse spécifiques visant à prendre la mesure – démontrer l’état constaté – de l’acceptabilité sociale devront désormais être réalisées.
Cette analyse devra être effectuée de façon participative, en parallèle avec les études de faisabilité et d’impacts. Ceci n’exclut évidemment pas la participation citoyenne aux autres études requises pour le développement du projet.
Les moyens et mécanismes de participation mis en place par les promoteurs doivent aller au-delà de l’information et de la consultation des parties prenantes, pour associer concrètement ces dernières à toutes les étapes de développement et de décision sur le projet. Idéalement, toutes ces études et démarches conduisent à un consensus reflétant une satisfaction et un consentement collectifs du projet par la communauté impliquée.
Ceci suppose d’intégrer les préoccupations et attentes citoyennes pour bonifier les études et les évaluations, ainsi que pour améliorer la conception des projets – socio-design – pour en favoriser une acceptation sociale générale et pour en minimiser les risques et les impacts par des mesures de prévention, d’atténuation et de compensations élaborées en collaboration avec les parties concernées.
Comment démontrer l’acceptabilité ou la non-acceptabilité sociale?
Le défi pour le promoteur reste de fournir aux décideurs une indication crédible du degré d’acceptation du projet dans la communauté d’accueil. Pour y arriver, l’analyse doit être fondée sur les facteurs d’acceptabilité sociale s’appliquant à la situation spécifique du projet. Pour être valide et utile pour les promoteurs, la considération de l’option de la non-acceptabilité d’un projet est incontournable, permettant d’examiner ses conséquences sur les suites du processus d’autorisation et sur la possibilité de refus d’autorisation par les gouvernements.
Diverses méthodes de mesure basées sur l’identification et l’évaluation des facteurs d’acceptabilité sont proposées par des chercheurs universitaires, des organismes et des experts en mise en œuvre de démarches sociales pour accompagner les entreprises pour leurs projets de développement et pour leurs activités d’exploitation des installations. Des ressources spécialisées et expérimentées permettent de mettre en place les conditions gagnantes pour répondre aux besoins des initiateurs de projets et les communautés.
Chez Transfert Environnement et Société, nous avons développé des méthodes et outils de mesure d’acceptabilité sociale, expérimentés sur le terrain dans le cadre de réalisations liées par exemple à des projets environnementaux (compostage, méthanisation, enfouissement), des projets miniers et des projets urbains. Consultez nos réalisations